
L’obsolescence du logiciel de la gauche ne vient pas de ses réponses, mais de son incapacité à reformuler les bonnes questions face à des crises qui ont changé la nature même du réel.
- La poursuite de la croissance infinie, dogme central du XXe siècle, est désormais un obstacle majeur à la survie écologique.
- Le dilemme binaire entre mondialisation et protectionnisme ignore la nécessité de construire des souverainetés partagées et solidaires.
- La révolution numérique et l’urgence climatique (l’Anthropocène) exigent une réécriture complète du système d’exploitation politique, pas une simple mise à jour.
Recommandation : La refondation d’un projet de gauche crédible passe par l’abandon des anciens cadres de pensée pour embrasser une politique de la finitude, axée sur la planification démocratique et la régulation des communs.
Le sentiment d’un décalage, voire d’une impuissance, traverse les débats qui animent la gauche contemporaine. Face à des crises systémiques – climatique, numérique, démocratique – dont l’ampleur et la nature inédites défient les grilles de lecture traditionnelles, le « logiciel » hérité du XXe siècle semble tourner à vide. Les solutions d’hier, fondées sur la redistribution des fruits d’une croissance infinie et une lecture exclusivement sociale des rapports de force, peinent à convaincre et à mobiliser. On évoque souvent la fragmentation des partis ou l’abandon des classes populaires comme causes de cette crise existentielle.
Pourtant, ces symptômes masquent un problème plus profond, presque structurel. Et si la véritable question n’était pas de savoir comment la gauche peut « mieux » répondre, mais comment elle peut réapprendre à penser un monde dont les fondations ont changé ? L’enjeu n’est plus seulement d’aménager le capitalisme, mais de composer avec les limites planétaires. Il ne s’agit plus uniquement de réguler le marché, mais de gouverner des technologies qui façonnent nos subjectivités et nos démocraties. La question n’est plus de choisir entre l’internationalisme et la nation, mais d’inventer des formes de souveraineté adaptées à des problèmes globaux.
Cet article propose une analyse critique de cette obsolescence programmée. Il ne s’agit pas d’un réquisitoire défaitiste, mais d’une invitation à un diagnostic exigeant pour identifier les points de rupture et esquisser les contours d’un système d’exploitation politique renouvelé, capable de se saisir des défis de notre temps. Nous explorerons comment l’abandon du dogme de la croissance, une nouvelle approche de la mondialisation, la sortie du piège identitaire, la maîtrise de la technologie et la planification écologique démocratique constituent les chantiers impératifs de cette refondation.
Pour ceux qui souhaitent une synthèse visuelle des tensions politiques actuelles, la vidéo suivante offre un éclairage sur l’état de fragmentation d’une partie de l’échiquier politique, un symptôme pertinent de la crise idéologique plus large que nous abordons.
Pour naviguer à travers cette analyse, voici le sommaire des grands axes de réflexion que nous allons aborder. Chaque partie décortique une facette de l’inadéquation du logiciel actuel et explore les pistes pour sa nécessaire réécriture.
Sommaire : Analyse de la pertinence du programme de gauche face aux défis modernes
- La croissance à tout prix : pourquoi une partie de la gauche n’y croit plus du tout ?
- Faut-il fermer les frontières ou changer le monde ? Le dilemme de la gauche face à la mondialisation
- La gauche est-elle tombée dans le piège des « guerres culturelles » au détriment de la question sociale ?
- Liberté numérique ou souveraineté technologique : comment la gauche peut-elle réguler les GAFAM sans devenir Big Brother ?
- Planification écologique : comment la gauche peut-elle la mettre en œuvre sans déclencher une révolte des « gilets jaunes » ?
- Faut-il changer le système ou inventer une nouvelle application ? Le grand débat entre transformation structurelle et solutionnisme technologique
- Bienvenue dans l’Anthropocène : l’époque où l’humanité est devenue une force géologique (et pourquoi ça change tout)
- Au-delà de la mise à jour : les fondations d’une transformation structurelle de la société
La croissance à tout prix : pourquoi une partie de la gauche n’y croit plus du tout ?
Le cœur du réacteur idéologique de la gauche du XXe siècle fut la promesse d’une meilleure répartition des richesses produites. Ce modèle reposait sur un prérequis implicite : la croissance économique infinie. Or, ce dogme est aujourd’hui le principal point de rupture. Face à l’urgence climatique et à l’épuisement des ressources, une part croissante de la pensée de gauche considère que la poursuite du productivisme est une impasse. La conférence « Beyond Growth » de 2023, qui a rassemblé plus de 5000 participants au Parlement européen, témoigne de cette effervescence intellectuelle cherchant à construire des modèles de « post-croissance ».
L’enjeu n’est plus seulement de « verdir la croissance », une ambition jugée insuffisante, mais de repenser la notion même de prospérité. Des initiatives locales, analysées dans diverses études, montrent la voie en réorientant les budgets publics vers ce qu’on appelle « l’économie du soin ». En priorisant la santé, l’éducation, les liens sociaux et la régénération des écosystèmes, ces territoires expérimentent une forme de prospérité non matérielle, décorrélée du PIB. Il s’agit d’une rupture fondamentale qui questionne la centralité du travail salarié et de la consommation comme uniques horizons de l’émancipation.
Cette bascule conceptuelle est exigeante. Comme le souligne l’économiste Éloi Laurent, expert reconnu des nouveaux indicateurs de bien-être, ce changement de cap est profond. Lors de la conférence Beyond Growth, il affirmait :
Il ne s’agit pas seulement de changer les indicateurs économiques, mais de modifier en profondeur notre vision, nos valeurs et notre détermination collective.
– Éloi Laurent, économiste senior à l’OFCE, Conférence Beyond Growth 2023
Accepter la fin du mythe de la croissance oblige la gauche à refonder son projet sur de nouvelles bases : le partage du travail, la démarchandisation des biens essentiels et la définition démocratique de nos besoins. C’est un défi immense, car cela implique de construire un imaginaire désirable qui ne repose plus sur la promesse de consommer toujours plus.
Faut-il fermer les frontières ou changer le monde ? Le dilemme de la gauche face à la mondialisation
La mondialisation a placé la gauche face à une contradiction qui la paralyse. D’un côté, son ADN internationaliste la pousse à défendre la libre circulation des personnes et une solidarité sans frontières. De l’autre, la mise en concurrence des travailleurs, le dumping social et les délocalisations alimentent la tentation d’un retour au protectionnisme national. Ce dilemme, souvent caricaturé entre « mondialistes » et « souverainistes », masque l’enjeu réel : comment construire une protection collective dans un monde interdépendant ? Sortir de cette opposition stérile est une condition de survie pour un projet de gauche cohérent.
L’illustration ci-dessous symbolise ce tiraillement entre la fermeture protectrice et l’ouverture solidaire, un des nœuds gordiens que la gauche doit trancher.

La réponse se trouve peut-être dans un concept émergent : la « souveraineté solidaire ». Théorisée dans des publications géopolitiques, cette approche défend une relocalisation stratégique des productions vitales (alimentation, santé, énergie) non pas dans un esprit de repli nationaliste, mais pour accroître la résilience territoriale. Parallèlement, elle prône le renforcement d’alliances internationales pour mener des combats que nul État ne peut gagner seul, comme l’affirme un expert en géopolitique dans l’analyse des défis climatiques pour la gauche : la lutte contre l’évasion fiscale des multinationales et pour la justice climatique. C’est une manière de repenser la souveraineté non comme un mur, mais comme un outil de coopération et de régulation.
Cette vision s’incarne déjà dans des expériences de « localisme de gauche ». Des territoires mettent en place des circuits courts, des monnaies locales et des formes de démocratie directe pour se réapproprier les ressources. Ces initiatives ne sont pas une négation du monde, mais une tentative de construire une mondialisation alternative, fondée sur la coopération entre les territoires plutôt que sur la compétition entre les nations. Elles dessinent une troisième voie, celle d’un monde où l’ancrage local est la condition d’une solidarité globale effective.
La gauche est-elle tombée dans le piège des « guerres culturelles » au détriment de la question sociale ?
L’une des critiques les plus virulentes adressées à la gauche contemporaine est son supposé abandon de la question sociale au profit des luttes sociétales ou « identitaires ». Le débat autour du « wokisme » a cristallisé cette tension, certains analystes y voyant un facteur de division des classes populaires, comme le pointe une étude sur l’usage politique du concept. Cette accusation, cependant, repose souvent sur une fausse opposition. Elle ignore à quel point les combats pour la reconnaissance des minorités sont intrinsèquement liés à des enjeux de justice matérielle et économique.
En réalité, les « guerres culturelles » sont souvent le nouveau visage de la question sociale. L’analyse du travail invisible, majoritairement effectué par les femmes, en est une parfaite illustration. Reconnaître la charge mentale et le travail de soin non rémunéré n’est pas une simple revendication « culturelle » ; c’est un enjeu économique central qui vise à rendre visible et à valoriser une contribution essentielle au fonctionnement de la société, une contribution qui soutient toute l’économie formelle. Le combat féministe est donc au cœur de la redéfinition du travail et de la richesse.
De la même manière, la lutte contre les discriminations raciales ou celles liées à l’orientation sexuelle est inséparable du combat contre la précarité. Les statistiques montrent que ces discriminations se traduisent par des difficultés d’accès à l’emploi, au logement et à des salaires plus faibles. Un sociologue spécialiste des mouvements sociaux le résume ainsi : « la reconnaissance des minorités est inséparable de la lutte contre leur précarité économique ». Le défi pour la gauche n’est donc pas de choisir entre le social et le sociétal, mais de démontrer leur profonde intrication.
Le véritable enjeu est de construire un discours qui articule la justice matérielle et la justice immatérielle, montrant que l’émancipation est un tout. Il s’agit de prouver que la défense d’un ouvrier précaire et la lutte contre le racisme ne sont pas deux combats concurrents, mais les deux facettes d’un même projet de société fondé sur l’égalité et la dignité pour tous.
Liberté numérique ou souveraineté technologique : comment la gauche peut-elle réguler les GAFAM sans devenir Big Brother ?
La révolution numérique a créé de nouveaux empires qui échappent largement au contrôle démocratique. Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ne sont pas de simples entreprises ; elles constituent des infrastructures qui organisent nos vies sociales, économiques et politiques. Face à ce pouvoir colossal, la gauche est confrontée à un défi majeur : comment réguler ces géants sans tomber dans la censure ou la surveillance étatique ? L’enjeu est de trouver une voie étroite entre le laissez-faire libertarien et le contrôle autoritaire, pour bâtir une véritable souveraineté technologique européenne et citoyenne.
L’Union européenne a commencé à tracer ce chemin avec l’adoption en 2023 de deux textes législatifs majeurs, le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA). Ces régulations visent à limiter les pratiques anticoncurrentielles des plateformes et à les obliger à modérer plus efficacement les contenus illicites. C’est un premier pas crucial qui montre qu’une action politique est possible. Cependant, cette approche par la régulation des marchés et des contenus ne s’attaque que partiellement au cœur du problème : le modèle économique du « capitalisme de surveillance ».
L’illustration suivante évoque cette recherche d’équilibre entre la nécessaire régulation des monopoles technologiques et la préservation des libertés individuelles.

Ce modèle, fondé sur la collecte massive de données personnelles pour prédire et influencer nos comportements, a des effets délétères sur la santé mentale et le débat démocratique. Il favorise l’économie de l’attention, la désinformation et une forme d’aliénation numérique. Un projet de gauche renouvelé doit donc aller plus loin en proposant des alternatives : financer et promouvoir des plateformes coopératives, des logiciels libres et des réseaux sociaux décentralisés qui ne dépendent pas de la publicité ciblée. Il s’agit de construire un écosystème numérique qui soit un « commun », géré démocratiquement au service de l’intérêt général, plutôt qu’une ressource exploitée par quelques acteurs privés.
Planification écologique : comment la gauche peut-elle la mettre en œuvre sans déclencher une révolte des « gilets jaunes » ?
Le concept de planification écologique, longtemps considéré comme une vieillerie soviétique, revient en force comme l’outil indispensable pour orchestrer une transition juste et efficace. Face à l’ampleur des transformations à mener (transports, logement, agriculture, industrie), l’idée que le marché ou les incitations individuelles suffiront apparaît de plus en plus illusoire. Cependant, le souvenir de la crise des « gilets jaunes », déclenchée par une taxe carbone perçue comme punitive, hante les esprits. La question est donc cruciale : comment planifier sans imposer, comment concilier l’urgence écologique et l’exigence de justice sociale ?
La réponse réside dans la démocratisation radicale du processus. Comme le propose la géographe Ilaria Casillo, la clé est de s’appuyer sur des « assemblées citoyennes tirées au sort avec un pouvoir contraignant ». En impliquant directement les citoyens dans les décisions difficiles, on garantit que les mesures adoptées soient comprises et considérées comme légitimes. La transition ne peut être l’affaire d’experts ou de technocrates ; elle doit être le fruit d’une délibération collective. Cette approche transforme une contrainte technique en un projet de société partagé.
Cette planification doit être socialement juste pour être acceptée. Un rapport de l’OCDE de 2023 montre que près de 72% des citoyens européens soutiennent des mesures compensatoires sociales pour accompagner la transition. Cela signifie que chaque contrainte écologique (taxe, norme) doit être financée par un mécanisme de redistribution, notamment via un super-impôt sur les profits des industries fossiles. L’argent ainsi récolté peut financer des « chèques de transition écologique » pour les ménages modestes, afin de les aider à changer de véhicule ou à isoler leur logement. L’écologie ne doit pas être punitive pour les classes populaires, mais une opportunité d’améliorer leurs conditions de vie.
Plan d’action pour une planification écologique juste :
- Instaurer des assemblées citoyennes tirées au sort avec un pouvoir décisionnel pour définir les priorités et les mesures.
- Créer un super-impôt sur les bénéfices des industries fossiles pour financer la transition.
- Distribuer des chèques de transition écologique ciblés vers les ménages modestes et les classes moyennes.
- Réduire significativement le temps de travail pour abaisser la pression productive et améliorer la qualité de vie.
- Investir massivement dans les services publics (transports en commun, rénovation thermique) pour offrir des alternatives concrètes.
Faut-il changer le système ou inventer une nouvelle application ? Le grand débat entre transformation structurelle et solutionnisme technologique
Face à l’urgence des crises, une idéologie gagne du terrain : le solutionnisme technologique. Cette croyance postule que chaque problème complexe, qu’il soit social ou écologique, trouvera sa solution dans une innovation technologique. Voitures électriques, captage du carbone, applications de covoiturage… Ces solutions sont souvent présentées comme des alternatives apolitiques et indolores à des changements de comportement ou à des transformations structurelles plus profondes. Pour une partie de la gauche, cette vision est un piège qui détourne de l’essentiel et sert de caution à l’inaction politique.
Le principal défaut du solutionnisme technologique est qu’il ignore ou sous-estime les « effets rebond ». Comme le souligne une analyse économique publiée par Le Monde en 2023, l’amélioration de l’efficacité énergétique d’un produit conduit souvent à une augmentation de son usage, annulant tout ou partie des gains initiaux. L’exemple des véhicules électriques est parlant : leur adoption massive, sans remise en cause de l’étalement urbain et du modèle de la voiture individuelle, peut maintenir, voire augmenter les émissions globales liées à la fabrication et à l’infrastructure. La technologie ne résout pas le problème, elle le déplace.
Cette foi en l’innovation empêche de penser les transformations sociales profondes qui sont nécessaires. C’est une manière de continuer à faire « comme avant », en espérant qu’un saut technologique nous sauvera. Un projet de gauche critique doit au contraire promouvoir un « techno-discernement », comme le suggère un rapport de l’IFRI. Cela signifie évaluer politiquement chaque technologie : qui la contrôle ? À quels intérêts sert-elle ? Quels sont ses impacts sociaux et écologiques réels ? L’objectif n’est pas de refuser la technologie, mais de la subordonner à un projet de société démocratiquement défini. La technologie doit être un outil au service de la transformation, et non une fin en soi qui nous dispense de la penser.
Bienvenue dans l’Anthropocène : l’époque où l’humanité est devenue une force géologique (et pourquoi ça change tout)
Le concept d’Anthropocène est bien plus qu’un terme scientifique pour désigner une nouvelle ère géologique. C’est une révolution philosophique et politique. Il acte le fait que l’activité humaine est devenue la principale force de transformation de la planète, capable d’altérer le climat, la biodiversité et les grands cycles biogéochimiques. Cette prise de conscience rend immédiatement obsolète le système d’exploitation politique hérité des Lumières, qui séparait radicalement la nature (un décor inerte et infini) de l’histoire humaine.
Dans l’Anthropocène, il n’y a plus de « dehors ». Chaque décision économique ou politique a une répercussion géologique. Comme le souligne un philosophe politique contemporain, cette nouvelle donne fait voler en éclats le clivage gauche/droite traditionnel, fondé sur la promesse partagée d’une croissance infinie. La question centrale n’est plus « comment produire et répartir plus ? », mais « comment habiter et partager équitablement une planète aux ressources limitées ? ». C’est un changement de paradigme total. La politique ne peut plus ignorer la finitude du monde.
Cette réalité impose de repenser la démocratie elle-même. Si les fleuves, les forêts et les océans sont des acteurs à part entière de notre survie collective, comment leur donner une voix politique ? Des propositions radicales émergent, comme l’idée d’introduire les droits de la nature dans la Constitution ou de créer un « parlement des écosystèmes ». Ces idées, loin d’être anecdotiques, cherchent à intégrer le non-humain dans nos processus de décision. La récente loi européenne sur la restauration de la nature 2023, qui fixe un objectif de restauration de 20% des écosystèmes dégradés, est un premier pas timide mais concret dans cette direction.
Pour la gauche, embrasser la pensée de l’Anthropocène signifie abandonner définitivement toute nostalgie du productivisme. Cela implique de faire de l’écologie non pas une politique sectorielle parmi d’autres, mais la matrice de toute son action. C’est l’ultime « fait social total » qui oblige à réinventer l’économie, le droit, la démocratie et notre rapport au monde.
À retenir
- L’obsolescence du logiciel de gauche vient de son inadéquation aux crises de la finitude (écologique) et de l’immatériel (numérique).
- Une refondation crédible exige l’abandon du dogme de la croissance au profit de modèles de post-croissance centrés sur le soin et le bien-être.
- La réponse aux défis globaux n’est ni le repli nationaliste ni la mondialisation dérégulée, mais la construction d’une « souveraineté solidaire » alliant résilience locale et coopération internationale.
- La planification écologique ne sera socialement acceptable que si elle est radicalement démocratique et financée par une fiscalité juste pesant sur les pollueurs.
Au-delà de la mise à jour : les fondations d’une transformation structurelle de la société
Si le diagnostic de l’obsolescence est partagé, la question demeure : par quoi remplacer l’ancien logiciel ? Une simple mise à jour ne suffira pas. C’est une réécriture complète, une transformation structurelle, qui est à l’ordre du jour. Il ne s’agit plus de corriger les excès du capitalisme, mais de poser les bases d’un autre modèle de société. Les pistes explorées dans les sections précédentes convergent vers quelques piliers fondamentaux pour un nouveau système d’exploitation politique.
Le premier pilier est la démarchandisation de secteurs vitaux. La santé, l’éducation, l’eau, l’énergie et le logement ne doivent plus être considérés comme des marchés, mais comme des « Communs ». Cela implique le développement de services publics forts et l’encouragement de la propriété d’usage (coopératives, habitat participatif) contre la propriété lucrative. Il s’agit d’étendre la sphère de la gratuité et du non-profit pour garantir à chacun l’accès à la dignité, indépendamment de ses revenus. Cette approche redéfinit la richesse, non plus comme une accumulation de biens, mais comme un accès à des services de qualité.
Le second pilier est une démocratie étendue et vivante. Face à la crise de la représentation, de nouveaux outils doivent être intégrés pour redonner le pouvoir aux citoyens. Des expérimentations comme le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) ou le recours accru au tirage au sort pour des assemblées décisionnelles, comme le montrent des initiatives pour une démocratie locale, sont des voies prometteuses pour revitaliser le consentement et l’implication. La démocratie ne doit pas s’arrêter aux portes de l’isoloir, mais irriguer l’entreprise, le territoire et les institutions.
Enfin, le troisième pilier est la redéfinition du travail. Le salariat à temps plein dans un modèle productiviste n’est plus un horizon tenable ni désirable. Il est urgent de valoriser toutes les formes de travail (domestique, de soin, bénévole) et de s’engager vers une réduction significative du temps de travail, permise par les gains de productivité et une meilleure répartition des richesses. C’est la condition pour libérer du temps pour la vie démocratique, culturelle, familiale et militante, et pour réduire notre empreinte écologique globale.
Évaluer la capacité de la gauche à intégrer ces transformations structurelles dans un projet politique cohérent et désirable est l’étape suivante, une étape qui définira sa pertinence pour les décennies à venir.